103.

Le sergent Joe Macchio et l’agent Jeanne McGuiness, de la police de New York, émergeaient du tronçon boisé de la 72e Rue qui traverse Central Park lorsqu’ils remarquèrent une scène qu’ils auraient préféré ne pas voir, surtout si près de la fin de leur service commencé huit heures plus tôt, sur les coups de seize heures.

— Ici voiture 183. Envoyez-moi immédiatement des renforts à l’angle de la 72e Rue et de Central Park Ouest ! réclama aussitôt l’agent McGuiness, une grande femme maigre au visage impassible.

La lumière rouge du gyrophare sur le toit du véhicule de patrouille tournoyait déjà.

Un peu plus haut sur la 72e, les deux policiers venaient de repérer une Lincoln bleu foncé qui roulait à une vitesse oscillant entre quatre-vingts et quatre-vingt-dix kilomètres à l’heure. Là n’était pas le problème.

Le problème était que, à l’arrière de la voiture, un fou dangereux ou suicidaire tentait de sortir, en se tortillant, par une vitre fracassée.

La moitié de son torse dépassait déjà de la fenêtre. La seule chose qui le retenait à l’intérieur, c’était les deux hommes accrochés à lui. Ils donnaient l’impression de s’escrimer pour attirer un énorme poisson frétillant dans la Lincoln.

— Regarde ! Juste derrière ! La deuxième voiture ! s’écria McGuiness en tendant l’index.

À l’intérieur du second véhicule, des enfants, une flopée d’enfants hurlants, semblaient eux aussi se débattre pour essayer de sortir…

— Putain de bordel de merde ! jura Joe Macchio.

Lui qui s’était préparé pour un Noël paisible voyait ce doux et innocent vœu voler en éclats.

Le sergent Macchio et l’agent McGuiness quittèrent leur voiture, armes dégainées. Ils s’approchèrent prudemment des deux berlines à présent arrêtées à l’angle sud-ouest de la 72e Rue. D’autres voitures de patrouille arrivaient déjà à vive allure, toutes sirènes dehors, en provenance de Broadway.

— Nous sommes des agents fédéraux, leur dit un homme en costume sombre, qui bondit littéralement de la Lincoln en brandissant un portefeuille et un badge qui avait l’air authentique.

— Vous pourriez être le commandant en chef de l’armée américaine que cela ne changerait rien ! lança le sergent Macchio d’une voix rauque et déterminée. Qu’est-ce qui se passe là-dedans, bon sang ? Qui est ce type ? Pourquoi est-ce que tous ces gosses braillent comme si quelqu’un était en train de se faire zigouiller ?

Un autre homme en costume sombre émergea de la deuxième voiture.

— Je m’appelle Victor Kenyon. Je travaille pour la CIA, monsieur l’agent, dit-il sur un ton calme mais autoritaire. Je crois être en mesure de tout vous expliquer…

Le haut du corps de Carroll dépassait toujours de la fenêtre du premier véhicule. Il était groggy et à deux doigts de perdre connaissance. Il interpella les deux policiers en braillant d’une voix pâteuse :

— Hé ! S’il vous plaît ! Mes enfants… Ils sont en danger… Je suis officier de la police fédérale…

Malgré son réveillon bousillé, le sergent Macchio ne put s’empêcher de sourire.

— Cette histoire promet d’être passionnante. Où est-ce qu’on s’installe ?

Dix minutes plus tard, la situation était loin d’être clarifiée. Plusieurs autres véhicules de patrouille étaient arrivés. Ainsi que des voitures de la branche new-yorkaise du FBI, et d’autres, de la CIA. La 72e Rue grouillait littéralement de flics.

Deux ambulances avaient également été appelées, mais Caitlin et Mary Katherine refusaient que Carroll fût transporté au Roosevelt Hospital ou en quelque autre endroit sans elles.

Caitlin hurlait sur les policiers, s’évertuant à leur faire entendre que Carroll et elle faisaient partie de l’équipe d’investigation chargée de l’enquête sur Green Band et qu’elle en avait la preuve dans son sac à main.

Les agents de la CIA disposaient quant à eux de preuves impressionnantes de la véracité de leur identité. Le litige menaçait de s’éterniser et les esprits s’échauffaient de minute en minute. Les badauds s’attroupaient peu à peu à l’angle de la rue.

Mickey Kevin Carroll se faufila aux côtés du sergent Macchio, qui s’était posté à l’écart pour réfléchir.

— Est-ce que je peux voir votre casquette ? s’enquit le petit garçon. Mon papa aussi est policier, mais il ne porte pas de casquette.

Joe Macchio baissa les yeux sur Mickey Kevin et le gratifia d’un sourire las.

— Et c’est qui, ton papa ? lui demanda-t-il. Il est dans le coin ?

— C’est lui, mon papa.

Mickey Kevin désigna l’homme avachi et manifestement endormi sur une civière du SAMU – Carroll avait, pour une ultime fois, la dégaine de Tchatcheur.

— Il est policier, mon petit ?

— Oui, monsieur.

L’affaire fut aussitôt réglée, pour le sergent Macchio : les soi-disant agents du FBI lui avaient affirmé que cet homme ne faisait absolument pas partie de la police.

— C’est ce que j’avais besoin de savoir, mon gars. C’est tout ce que j’avais besoin de savoir, en fait.

Le sergent Macchio se baissa et tendit sa casquette à Mickey Kevin. Puis il se dirigea vers la mini-émeute qui avait interrompu la circulation sur la 72e Rue, sans parler des allées de Central Park et de la voie transversale du parc.

— J’vais vous dire ce qu’on va faire, hein ! (Macchio tapa dans ses mains afin d’attirer l’attention et de mettre un peu d’ordre dans la mêlée.) On va aller régler ça tous ensemble au poste !

À cette nouvelle, les quatre petits Carroll se mirent à acclamer les policiers et à les applaudir.

Les officiers et les agents de la police de New York n’étaient pas habitués à cela. Deux ou trois agents, parmi les plus âgés, piquèrent un fard. Ils n’avaient jamais été traités ainsi, comme s’ils appartenaient à la cavalerie, comme des sauveurs.

— C’est bon, c’est bon, maintenant ! Tout le monde dans les fourgons ! On s’active. On va savoir qui sont les gentils et qui sont les méchants !

Des photos de la scène furent prises par un reporter du New York Times, mais aussi par un journaliste free-lance qui habitait de l’autre côté de la rue, sur Dakota Street. Ce dernier immortalisa Mickey Kevin arborant fièrement la casquette du sergent Macchio. Le cliché fit la couverture de Newsweek.

Plus tard, cette fameuse photo de Mickey Kevin trôna dans un cadre, sur la cheminée de la maison des Carroll à Riverdale… Lizzie, Mary III et Clancy s’insurgèrent bruyamment contre ce qu’ils qualifièrent de favoritisme. Arch leur demanda de bien vouloir cesser leurs jérémiades. Il leur était arrivé tant de choses en une période relativement courte. L’une des plus importantes étant que Carroll était tombé amoureux de Caitlin, imité lentement mais sûrement par ses enfants. Ils formaient une famille, à présent. Tous ensemble.

Une vraie famille.

Vendredi Noir
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